L'ACADEMIE DE MARINE

 

à l'occasion de sa Séance solennelle de rentrée du 19 octobre 2011

a attribué son Grand prix à l’ouvrage

 

PIERRE LOTI DESSINATEUR – Une œuvre au long cours

  

 

De Alain QUELLA-VILLÉGER et Bruno VERCIER

Éditions Bleu autour, 2009 (296 pages)

 

 Tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu à Pierre Loti savent qu’il est un des grands dessinateurs du XIXè siècle. Des centaines de gravures inspirées in situ au cours de voyages qui pourraient encore passer pour fabuleux de nos jours sont là pour l’attester. L’œuvre a commencé très tôt alors que le jeune enseigne Julien Viaud, embarqué sur la frégate Flore en route pour le Pacifique, envoie des dessins au Monde Illustré et à l’Illustration pour contribuer à la survie d’une famille pauvre ; c’est, ainsi, par son talent de reporter qu’a débuté la carrière littéraire de Pierre Loti qui complète ses dessins par des descriptions écrites des hommes, des lieux et des circonstances dans lesquelles il les a vus. Ces dessins et les photographies de Pierre Loti auraient sans doute sombré dans les innombrables fonds de souvenirs de famille si leur auteur n’était pas devenu célèbre, et l’on aurait manqué un artiste sensible, dont les portraits émouvants ont aujourd’hui valeur de témoignage d’ethnologie mais pas seulement cela. Les auteurs de cet ouvrage, sont deux universitaires immergés de longue date dans le monde exotique obsédant du fantôme illustre : le Rochefortais Alain Quella-Villéger, agrégé d’histoire et docteur ès-lettres, aujourd’hui le biographe incontesté d’un écrivain aux multiples talents et à la personnalité à facettes, et Bruno Vercier, docteur ès-lettres, président de l’Association pour la Maison de Pierre Loti, qui a signé l’appareil critique de nombreuses rééditions de Pierre Loti. Ils ont conçu et réalisé cet ouvrage dont aussi bien la qualité des images que celle du texte accompagnateur, sont remarquables. On découvre un artiste d’une grande virtuosité tant dans la figuration des sites que dans les personnages qui peuplent Tahiti et les Marquises : statues pascuanes, baobabs dans les dunes, arbres sacrés de Guinée, Salonique du haut d’un minaret, gorges de l’Atlas… Attentif aux tatouages de dignitaires de Rapa Nui ou de Nuku-Hiva, à la figure altière de la reine Vahékéhu des Marquises, Pierre Loti a laissé son regard s’embuer sur des beautés exotiques mystérieuses et terriblement présentes ; comme si au-delà les Tahitiennes et Hatidjè bien sûr, Aziyadé suggéraient avec force l’universalité de la femme, ébranlant en ce temps la hiérarchie avérée des races et des cultures. « J’ai promené mon âme changeante dans un monde changeant ». Pierre Loti a eu le double privilège de traverser notre culture au moment où elle se renouvelait, et d’être un voyageur universel à la rencontre d’autres références, d’autres vérités. Il a porté sur le monde un regard d’artiste fasciné par les spectacles impressionnants de la nature. C’est ce que révèle ce livre exceptionnel pour son sujet, pour sa nouveauté, pour sa richesse artistique et critique.

 

* Texte prononcé en séance